Les gammes orientales (ou gammes arabes) ouvrent des horizons musicaux fascinants pour tout musicien curieux. La musique orientale constitue un univers sonore à part entière. Un monde aux sonorités riches et expressives, souvent méconnu du musicien occidental. Mais aussi un monde aux codes, aux structures et aux tonalités profondément singuliers.
Comprendre et jouer ces gammes à la guitare ne demande pas une maîtrise exhaustive du répertoire oriental. Ni même d’avoir une connaissance théorique avancée. En réalité, tout guitariste curieux peut s’en emparer pour enrichir son vocabulaire musical, ses compositions et ses improvisations.
C’est ce qu’on vous montre dans notre dernier cours vidéo. Dans cet article, découvrez comment jouer ces gammes à la guitare, leurs secrets, et des conseils pratiques pour les intégrer dans vos compositions et improvisations.
Plongez dans l’un des outils les plus expressifs de la théorie musicale.
La Guitare à la Croisée des Mondes : Plongée dans les Gammes Orientales 🌏

Oubliez un instant le solfège poussiéreux et les dogmes occidentaux : la gamme orientale ne se laisse pas enfermer dans une simple étiquette. Elle est flux, elle est sève, une mémoire sonore qui traverse les siècles depuis la vallée du Nil jusqu’aux bergères de l’Anatolie. Qu’est-ce qu’une gamme orientale ou arabe ?
Qu'est-ce qu'une gamme orientale ou arabe ?
Ce n’est pas anodin : contrairement au système tonal occidental figé, où la gamme est un escalier bien balisé de tons et demi-tons, la musique orientale use d’échelles mouvantes, souvent propres à chaque région ou tradition. Les maqâms arabes, ragas indiens ou modes persans combinent des intervalles méconnus en Occident, comme le célèbre quart de ton, un espace sonore subtil entre deux cases de guitare, inaccessible sur un piano classique.
La spécificité ? Tout réside dans ces micro-intervalles – ni dièse ni bémol – qui offrent une expressivité inouïe au chant diphonique des instruments du désert comme au cri feutré de la guitare contemporaine. Pour saisir cette dimension, il faut accepter que la "note juste" n’existe pas ; c’est plutôt un point d’équilibre entre deux silences.
Pourquoi explorer les gammes orientales à la guitare ?
Soyons clairs : la guitare reste un instrument occidentalisé par son accordage tempéré... pourtant rien n’empêche le voyageur avide d’ailleurs sonore ! La structure même du manche permet déjà d’approcher ces mondes : jouer sur les écarts entre frettes, exploiter les bends (tirés), glisser à l’oreille vers ce fameux quart de ton… tout ceci relève moins du hasard que d’une ouverture viscérale à l’autre.
À treize ans, j’ai découvert par hasard le maqâm hijaz sur une vieille partition oubliée. Essayer de le jouer sur ma Stratocaster fut une révélation : chaque case semblait contenir une poussière venue d’Alep ou du Caire. Ce moment a marqué le début de ma passion pour les modes non tempérés.
Nul besoin d’un oud ancestral pour sentir pulser cette énergie étrangère. L’essentiel est là : écouter différemment son propre instrument, déconstruire ses réflexes mécaniques pour laisser respirer l’inconnu sous ses doigts.
Les intervalles et quarts de ton : le cœur de la musique orientale
La véritable révolution sonore orientale naît dans l’intervalle – plus précisemment dans les quarts de ton (en arabe: rab‘ al-ton), ces espaces microscopiques entre deux notes standards. On pourrait croire à un détail technique ; c’est en fait le cœur vibrant du secret oriental.
Le quart de ton, équivalent à la moitié d’un demi-ton occidental, permet des nuances impossibles à atteindre dans le système des douze demi-tons classiques (source). Pour le guitariste curieux, nul besoin de limer ses frettes ! Un bend millimétré suffit parfois à faire frissonner l’oreille avertie.
Principaux intervalles caractéristiques des gammes orientales :
- Intervalle d’un quart de ton (50 cents)
- Seconde augmentée (1 ton + ½ ton = 150 cents)
- Tierce diminuée (2 demi-tons = 200 cents mais légèrement "tirée")
- Quinte diminuée (3 tons = 600 cents mais subtilement modulée)
- Septième abaissée microtonalement (souvent entre septième mineure et majeure)
Soyons honnêtes : aborder ces subtilités demande patience et oreille affûtée… Mais quelle ivresse quand soudain on devine dans sa propre vibration cette couleur autre ! Voilà pourquoi je ne crois pas aux frontières musicales — seulement aux ponts tendus entre deux silences.
Techniques et Approches Pratiques pour Maîtriser les Gammes Orientales 🎸
Adapter les doigtés : comment aborder les gammes sur le manche

Jouer oriental ne signifie pas reproduire vos habitudes pentatoniques. Le doigté, c’est la carte du voyageur curieux… mais il faut redessiner la carte ! Les positions traditionnelles, souvent héritées du blues ou du rock, s’avèrent trop rigides face aux intervalles instables des gammes maqâm ou hijâz. Il est donc crucial de repenser vos enchaînements : privilégiez la corde de Ré (quatrième) pour ses résonances riches, parfaite pour ancrer les notes pivots des modes orientaux ; la corde de Sol, quant à elle, devient un terrain d’expérimentation pour glisser subtilement vers le quart de ton.
Pour visualiser le manche autrement, isolez chaque motif sur deux cordes puis déplacez-le latéralement plutôt qu’en diagonale. Travaillez en repérant les points où l’intervalle s’écarte (notamment entre la 2ème et la 3ème note de la gamme), osez décaler l’index ou l’annulaire sur une même case pour varier tension et couleur sonore.
L’anecdote qui gratte : lors d’un atelier à Istanbul, un maître du oud m’a montré comment remplacer l’usage compulsif du petit doigt par un glissement express du majeur sur la corde de Sol. Depuis ? J’ai banni le dogme académique.
Les techniques de jeu essentielles : slide, hammer-on, pull-off pour la fluidité
Envie d’injecter de la sève dans votre jeu ? Oubliez l’attaque sèche du médiator occidental. Les mélodies orientales exigent une fluidité rare et des ornements subtils :
Techniques indispensables pour jouer oriental :
- Slide (glissando) : relier deux notes sans interruption pour simuler ces micro-intervalles intraduisibles autrement que par le glissement.
- Hammer-on / Pull-off : enchaîner rapidement deux sons sur une même corde – idéal pour imiter le phrasé vocal ou le trille perçant du ney.
- Bend millimétré : tirer légèrement la corde juste après avoir joué une note clé (notamment sur Sol ou Si) pour atteindre ce fameux « quart de ton ».
- Vibrato ample (lent) : orner chaque note longue d’une oscillation expressive – ni trop rapide, ni égale – qui rappelle le chant diphonique ou le souffle d’une kora.
- Mute partiel avec main droite : étouffer subtilement certaines attaques pour laisser jaillir les espaces entre deux silences.
Testez ces techniques sur une phrase simple en maqâm hijâz et observez comment chaque articulation révèle une nouvelle couleur sonore.
Explorer différentes positions grâce au 'démanché'
Ce n’est pas anodin : le 'démanché', ce déplacement vertical de toute la main gauche sur le manche, n’est pas réservé au jazzman pressé ni au flamenco nerveux. Dans l’univers oriental, il devient vital pour franchir d’un coup plusieurs tessitures et colorer autrement vos motifs. L’idée est d’abandonner provisoirement votre position fixe : passez par exemple du 5ème au 9ème frette d’un seul geste souple afin de basculer d’une ambiance modale à une autre — sans rupture sonore grossière.
C’est dans les silences que cette transition sonore prend tout son sens. Un bon exercice consiste à improviser lentement en changeant radicalement de position après chaque phrase mélodique — vous sentirez vite où habite réellement chaque mode oriental…
Développer son oreille pour saisir les nuances orientales
Soyons honnêtes : c’est là que tout se joue ! La transcription scolaire ne suffira jamais à saisir les nuances infimes qu’offre ce langage. L’oreille est votre plus grand professeur — aucune tablature ne remplacera jamais l’écoute attentive des grands interprètes orientaux, oudistes tunisiens comme guitaristes turcs… Plongez dans leurs enregistrements, chantez avant même d’essayer sur la guitare, décortiquez chaque micro-vibrato.
Mon expérience me pousse à affirmer que travailler son oreille est bien plus enrichissant que des heures passées derrière un métronome. C’est seulement par immersion active que vous capterez cette saveur unique – ni dièse ni bémol – propre aux musiques du levant.
Exercices pratiques pour intégrer les gammes orientales
Ne cherchez pas midi à quatorze heures : commencez simple mais exigeant !
1. Jouez chaque gamme lentement, en montant puis descendant sur une seule corde (essayez notamment sur Mi grave et Ré) ; concentrez-vous sur chaque intervalle inhabituel.
2. Variez ensuite les rythmes (noires, croches pointées…) sans accélérer – laissez respirer chaque silence !
3. Ajoutez progressivement slides et bends légers, surtout là où surgit un demi-ton exagéré ou un quart de ton suggéré.
4. Improvisez pendant cinq minutes, uniquement avec trois notes centrales issues du mode hijâz ou double harmonique — oubliez tout réflexe pentatonique occidental !
5. Enregistrez-vous, puis comparez votre jeu avec celui d’un musicien oriental authentique ; reconstruisez ce qui manque (tension ? relâchement ?). Un bon exercice consiste aussi à reproduire "à l'aveugle" ce que vous entendez dans un extrait choisi (exemple).
Rappel salutaire : il n’y a pas plus grande erreur que croire avoir « compris » une gamme dès qu’on peut monter-descendre trois cases. Redécouvrir son instrument comme étranger, c’est cela qui libère !
Explorer davantage l'univers sonore oriental à la guitare

La fascination pour les gammes orientales n’est que le début d’un voyage musical. Ce n’est pas anodin, la poussière des maqâms ne s’épuise pas sur six cordes – elle invite à franchir les frontières du timbre et de l’imaginaire. Si vous pensez que la guitare a tout dit, écoutez donc la kora d’Afrique de l’Ouest, harpe-luth au souffle ancestral, ou le valiha malgache, tube de bambou vibrant qui chante plus qu’il ne joue. Le shakuhachi japonais, flûte zen à l’intonation incertaine, ébranle toute notion occidentale du "juste" : chaque note y est un monde mouvant, chaque silence pèse plus lourd que mille dièses.
N’ayez pas peur de vous perdre parmi ces instruments – bien au contraire ! Plus votre oreille s’abreuve à des sources diverses, plus votre jeu gagne en sève et en relief. Osez transposer un motif appris sur le valiha sur votre manche, ou imitez le souffle flottant du shakuhachi via un slide aérien… C’est là que commence la véritable aventure.
"Chaque intervalle devient une bergère guidant son troupeau de notes égarées — aucune règle figée, seulement des sentiers à inventer."
Un détail trop souvent ignoré par les guitaristes pressés : l’accordage n’est jamais une fatalité. Expérimentez les open tunings empruntés au blues malien ou au baglama turc ; laissez tomber le Mi-La-Ré-Sol-Si-Mi académique pour bâtir de nouveaux paysages modaux. Parfois, il suffit d’un simple demi-ton baissé sur la corde de Sol pour que l’instrument respire autrement…
Souvenez-vous : ce voyage musical ne fait que commencer. Entre deux silences, chaque mode oriental dévoile un fragment du monde oublié sous vos doigts – alors abandonnez toute certitude et partez explorer ce territoire sonore sans carte ni boussole. Soyez curieux… car dans cette aventure-là, on est toujours apprenti.